Reportage sur l’atelier de découverte avec Daniel Müller-Schott

1 mai 2023

Le Vevey Spring Classic festival est attaché à l’idée de transmission. Le principe de son affiche de concerts consiste à mêler les meilleurs espoirs de demain à leur mentor. Ces jeunes musiciennes et musiciens qui se destinent par leur talent reconnu et primé à la faveur de concours prestigieux à former la relève des artistes de classe internationale jouent ainsi des œuvres de musique de chambre à l’aune des plus grandes attentes artistiques avec toute la richesse des échanges qu’apporte un lien de nature pédagogique.

Imaginer une telle formule festivalière va de pair avec un ancrage dans la région qui accueille le festival. Dès lors, rien n’apparaît plus naturel que de créer un lien fécond avec les institutions musicales d’une Riviera vaudoise à l’activité et à l’histoire artistique florissantes ! Wilson Hermanto a ainsi approché François Grin, directeur du Conservatoire de Musique Montreux-Vevey-Riviera, afin que des masterclasses voient le jour en marge des concerts mis à l’agenda du Vevey Spring Classic.

Dimanche 30 avril 2023, la maison de Mme de Warrens sise à quelque cent mètres de la Salle del Castillo et du Théâtre Le Reflet accueillait une masterclasse du violoncelliste Daniel Müller-Schott. Dans la petite salle généralement dévolue aux auditions du conservatoire de la région, plusieurs élèves des classes de violoncelle ont ainsi pu bénéficier des conseils prodigués par le musicien allemand, codirecteur artistique du Vevey Spring Classic. En présence des professeurs de violoncelle et de François Grin, lui-même violoncelliste émérite et ancien membre du Quatuor Terpsycordes, des amis et parents des jeunes élèves, Daniel Müller-Schott écoute, accueille, valorise et explique les tenants de l’interprétation et de la technique de son instrument à des enfants et adolescents animés par l’art de la musique. Il ne s’agit pas forcément de jeunes gens qui se destinent à une carrière professionnelle, ou alors il est trop tôt pour le dire.

Imaginer la teneur et l’esprit d’une masterclasse est souvent accompagné d’un a priori de sévérité, de solennité. Avec Daniel Müller-Schott, rien de tout cela. Le maître écoute attentivement les filages des pièces que les élèves ont préparées. Il les laisse jouer l’intégralité de leur morceau puis travaille le lien pédagogique avec simplicité. Après une appréciation globale encourageante, le musicien de classe internationale ouvre la discussion par une question ouverte : « Comment l’œuvre agit-elle sur toi, que ressens-tu ? ». L’ouverture à l’autre est au cœur de la démarche. La question, vague en apparence, recèle toutefois toute l’essence de ce qu’est la musique, sa vocation et possède l’insigne avantage d’aller à l’essentiel au-delà des seules considérations techniques. Louis, âgé d’environ onze ou douze ans réfléchit à ce qu’il doit répondre après avoir joué la Douce Rêverie de Tchaïkovski. La discussion prend forme tranquillement et peu à peu les éléments musicaux émergent. Le jeune garçon finit par s’approprier les conceptions de Daniel Müller-Schott, lequel insiste sur le fait qu’il ne faut pas jouer de manière trop directe, trouver l’esprit de la pièce afin de rendre compte de la fluidité du rêve, sa douceur immanente. La ligne du violoncelle est une ligne de chant. Encouragé par la professeure de Louis, le jeune Louis se voit invité à fredonner la musique. Un peu gêné, l’enfant hésite. Aucun souci, Daniel Müller-Schott rebondit avec tact, chante lui avec un humour décontracté le chant de l’instrument et expose les éléments inhérents à l’agogique, aux dynamiques et phrasés, saisissant ensuite le violoncelle de l’élève pour souligner l’esprit de l’œuvre. L’art de la détente est un art conscient, il faut intégrer la notion de souplesse et de fluidité. Et l’enfant saisit la substance de ce qui lui est transmis. Lorsqu’il reprend l’instrument, parvient à des améliorations notables, chemine et acquiert progressivement le substrat de l’onirisme qui doit se lire entre les lignes de la composition de Tchaïkovski. « OK, Wunderbar ! », ponctue le virtuose. Il se dégage une sorte de force tranquille du musicien confirmé qui trouve la mutualité requise pour que la relation pédagogique soit portée par la confiance mutuelle. Quelques échanges sur la tenue de l’archet parachèvent le moment alloué à Louis, qui va se rasseoir afin d’écouter les autres pupilles après avoir échangé un sourire plein de reconnaissance avec Daniel Müller-Schott.

Hortense, un peu plus âgée que Louis, joue alors la Méditation de Thaïs avec une belle tenue des lignes. A nouveau, Daniel Müller-Schott envisage son intervention au travers d’un « Tu aimes la pièce ? », auquel il est impossible de répondre autrement que par oui, tant ces pages de Jules Massenet figurent parmi les plus belles de la littérature pour violoncelle. « La section médiane pourrait laisser apparaître quelque chose qui relève du questionnement, du doute, de la tension intérieure…», commente le maître. Puis il souligne la nécessité de prendre en compte des aspects physiologiques, citant les indications de Mstislav Rostropovitch dont il a lui-même bénéficié dans ses jeunes années, alors que sa carrière était en devenir. « La manière de tenir l’archet devrait être aussi proche de ce que la nature nous montre », lui expliquait feu Slava, qui osait des comparaisons inattendues pour décrire comment le poignet doit se positionner afin que la tenue de l’archet soit aussi adéquate qu’efficace. Daniel Müller-Schott recommande alors à Hortense de se regarder dans le miroir afin qu’elle examine la posture de la main qui tient l’archet et qui, de fait, lui alloue le poids et la force requises. La flexibilité du mouvement est au cœur de la pratique de l’instrument. Bien sûr, il est très difficile de changer une posture en une dizaine de minutes, mais jouer chez soi en aparté les cordes à vide, devant un miroir, trouver une position qui devienne naturelle, spontanée constitue une démarche qui apporte la clé de la pratique instrumentale.

Puis, c’est au tour d’Elissa, une élève plus aguerrie, légèrement plus âgée aussi. La gymnasienne en classe spéciale au Gymnase Auguste-Piccard de Lausanne ne compte pas faire du violoncelle son métier, pas plus qu’Arthur qui lui succédera lors de cette après-midi de masterclasse. Dotée d’une expérience manifeste, la jeune femme aborde avec générosité et engagement une portion du premier mouvement du Concerto de Lalo. « Very good ! », quittance posément Daniel Müller-Schott. Plaçant ses considérations par-delà ce qui a trait à la plénitude du son et aux attaques déjà très sûres d’Elissa, le violoncelliste commente les divers styles et courants présents dans l’œuvre et anticipe la présence d’un orchestre réduit pour l’exercice à l’accompagnement du pianiste. 2023 est aussi l’année du bicentenaire de la naissance d’Edouard Lalo, dont la date d’anniversaire coïncide avec celle de Mozart, le 27 janvier, soit dit en passant, pour accréditer la valeur artistique de la composition retenue pour l’exercice. Il expose comment pousser l’énergie à l’aide de crescendos qui trouvent leur adéquation avec l’orchestre, travaille sur les contrastes à apporter. Comment oser des crescendos, voire des sonorités plus raiches afin de développer la ligne afin de la porter jusqu’à sa conclusion dans un chant lyrique et doux qui ne demande qu’à éclore. Comment connecter des mondes énergiques à des instants en suspension, tout en gardant la ligne… Autant de questions soulevées afin que les progrès de la jeune interprète puissent s’articuler.

A l’issue des quelque quatre-vingt dix minutes de masterclasse, Elissa confie qu’elle se sent très reconnaissante de l’apport qu’elle a reçu. Est-elle intimidée par l’envergure artistique du maître ? Pas particulièrement, même si elle mesure parfaitement l’étendue de son talent et de sa notoriété. « On l’a déjà rencontré l’automne dernier. Il est très accessible, proche des gens. Je me suis très vite sentie à l’aise. Il est respectueux et patient. J’aime ses conseils généraux qui ne sont pas que spécifiques ou techniques ».
L’après-midi d’échanges se termine par quelques question en plénière. « Comment apprendre un passage difficile ? », demande une des participantes. « Le travailler, le jouer à un tempo lent, canaliser sa concentration dans un mode lent, avoir conscience de ce que l’on est en train de faire, puis augmenter continûment la vitesse », répond Daniel Müller-Schott. « Pour ma part, je fais des lectures extrêmes, très lentes ou très rapides. Ainsi, il y a moyen d’être plus libre et de jouer en s’émancipant des difficultés dont on est venu à bout », ajoute-t-il. Puis c’est au tour d’une des enseignantes de violoncelle du Conservatoire de poser une question autour du travail relatif au vibrato. « Le travailler en rythme, à tes tempi divers, afin de ne pas le réduire à un simple tremblement », explique encore le violoncelliste.
Pour conclure, Daniel Müller-Schott place la relation à l’instrument à un niveau aussi sensible : « Il faut ressentir la connexion avec l’instrument, connexion qui n’est pas à sens unique, le jour où l’instrument fait partie de vous, de votre vie, vous vivez quelque chose de merveilleux qu’il faut accueillir et cultiver ». Un beau message !

Bernard Halter
Le 30 avril 2023